Où va l'industrie ?
Où va l'industrie ?
Où va l'industrie en France ?
Dans ce tout premier épisode, Olivier Helterlin, PDG de PTC France dresse un tableau de l’industrie en France et nous partage sa vision sur l’avenir et les défis du secteur. À ce jour, la France est l’un des pays les plus désindustrialisés d’Europe. Cependant depuis la pandémie qui a frappé de plein fouet l’économie française, le terme « Réindustrialisation » se fait de plus en plus entendre. Dans un contexte troublé marqué par une crise économique mais aussi une crise écologique, peut-on encore rétablir notre souveraineté industrielle ? C’est tout l’enjeu des diverses initiatives gouvernementales. Couplées à l’influence grandissante des atouts du numérique, elles impulsent un nouvel élan à tout l’écosystème industriel…
Le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous, alors que notre industrie prend un nouvel élan. Comment peut-elle nous aider à faire face aux défis de notre époque ? Que peut-on en attendre ? Je suis Axelle Gurteen et je vous emmène à la rencontre de celles et ceux qui démocratisent l'industrie 4.0 avec de nouvelles approches et technologies sur notre façon de produire, de consommer et même d'imaginer l'avenir.
Bienvenue dans « Où va l'industrie » ! Le podcast qui interroge le futur de l'industrie pour agir au présent. Aujourd'hui, on va parler ensemble de réindustrialisation, un terme qui revient souvent. Pourquoi parle-t-on de réindustrialisation ? Est-ce que c'est facile, nécessaire et même souhaitable ?
Présentation de l’invité
Pour ce premier épisode, je suis avec Olivier Helterlin, PDG de PTC France, éditeur de solutions logicielles pour le monde de l'industrie.
Olivier, après un parcours dans l'aéronautique, vous êtes un fin observateur et acteur de l'industrie aujourd'hui. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, est ce que vous pouvez vous présenter ?
Bien sûr.
J'assume ces fonctions de président de PTC France et directeur général de la filiale France, Benelux et Suisse romande de PTC. Depuis janvier 2019. J'ai rejoint PTC fin 2011. Auparavant, j'ai passé quinze ans chez Capgemini, dont dix ans dans le secteur de l'aéronautique dédié au secteur de l'aéronautique. Et auparavant, j'ai démarré ma carrière dans l'audit financier. Voilà donc en effet aujourd'hui cette carrière dédiée aux liens entre les métiers et les systèmes d'information m'amène à travailler sur comment les systèmes d'information apportent une valeur ajoutée pour les entreprises.
Pourquoi est-ce qu'on parle autant de réindustrialisation aujourd'hui ? L'Industrie française est-elle dans un si mauvais état que ça ?
Oui et non. Il est vrai qu'on a beaucoup désindustrialisé depuis les années 1980, on a perdu à peu près 3 millions d'emplois. Et ces emplois industriels, ce sont surtout des emplois manufacturiers, la fabrication. Il est vrai que quand on se compare à la moyenne européenne en Europe, 17,5 % en moyenne de la valeur ajoutée vient de ces emplois manufacturiers, contre 12 % à peine en France et plus de 20 % pour nos amis allemands avec qui on aime se comparer énormément. Il en va un peu différemment lorsqu'on prend le secteur industriel dans sa totalité avec les services qui y sont associés. On entend par là les services amont, d'innovation, de recherche et développement, pour lesquels PTC apporte des solutions de conception assistée par ordinateur et de gestion des données produit. Et quand on va aussi vers l'aval et les métiers de la maintenance des produits manufacturiers où là, on atteint en France 25 environ de 22 à 25 % de la valeur ajoutée du pays, contre plus de 30 % pour nos voisins.
Pour bien comprendre d'où l’on vient, pourquoi a-t-on davantage désindustrialisé que nos voisins dans un premier temps ? Est-ce parce que le tertiaire est plus rentable ?
En partie. On a beaucoup pointé du doigt au début les 35 h, puis le coût de la main d'œuvre. Or, ce coût de la main d'œuvre, ça ne représente qu'à peu près 16% des coûts industriels, le reste étant les outils de production eux-mêmes et les approvisionnements. On a pointé du doigt également les impôts liés qui ont fait peser sur la production industrielle 200 en France contre 0,5 seulement en Allemagne.
Mais la vraie raison profonde, c'est la chaîne de la valeur, c'est à dire le fait que les entreprises ont voulu garder en France la partie à forte valeur ajoutée qui nécessite des compétences des ingénieurs, donc la partie R et D, et sous-traiter ou développer le reste dans des pays à bas coûts. Et ça, ça a amené à cette a cette transformation et à ce déséquilibre aujourd'hui.
Dans ce cas, on a une culture plutôt de l'ingénieur plutôt que de l'ouvrier en France ?
Oui, je pense qu'on a développé une forte culture de l'ingénieur au travers de notre structure d'enseignement supérieur en particulier. La preuve, c'est qu'aujourd'hui en France, 26% de la valeur ajoutée de l'industrie correspond à la R&D, contre 12% à peine en Allemagne. Donc c'est un indicateur très fort de cette tendance-là.
Alors pourquoi on a besoin de réindustrialiser dans ce cas ? Si on a volontairement favorisé les activités les plus rentables en France ?
Alors avant tout, la crise du Covid nous a montré qu'on avait besoin de relocaliser certaines fabrications. L'exemple des masques est certainement le meilleur. Et ce qui a suivi la crise du Covid ne fait qu’aller dans ce sens-là, à savoir la hausse de l'énergie qui génère un poids immédiat sur les coûts des transports, une hausse du coût de transport et des tensions géopolitiques qui génère des incertitudes dans le monde entier font qu'il y a une stratégie de fond. À vouloir relocaliser afin de produire localement, donc avec des coûts de transport et un impact carbone plus faibles et de s'affranchir des tensions géopolitiques, à commencer par les PME, par les productions les plus stratégiques pour la France.
Crise énergétique, tensions de la chaîne d'approvisionnement, tensions géopolitiques. Il y a aussi une dimension écologique à cette relocalisation en France ?
Absolument, et c'est ce qui rend cette transformation différente. Il s'agit d'un nouveau départ et pas de refaire ce qui existait auparavant. Relocaliser une industrie propre qui, d'une part, en ayant des coûts de transport plus faibles, mais aussi en se repensant, va produire différemment de manière éthique et écologique. Et ça, c'est aujourd'hui une obligation qu'impose les clients aux industriels et c'est une obligation qu'impose leurs employés aussi.
Les nouveaux talents aujourd'hui sont en recherche de sens dans leur travail et attendent de leur entrée dans l'entreprise, de leur patron qu'ils mènent une démarche pour rendre son appareil industriel et sa démarche cohérente avec la réduction de l'impact carbone. Et c'est ce en quoi on doit revoir tout le processus et l'accompagnement des solutions logicielles, pour ce faire, depuis la conception de produits plus économes en en émissions de carbone, donc par le choix des composants, le processus de fabrication de ces produits.
Anticiper leur phase de maintenance pour qu'elles se fassent le mieux possible et rallonger la durée de vie de ces produits et anticiper également leur phase de recyclage. Il s'agit de repenser complètement la façon dont on mène une activité industrielle pour que cette activité, elle soit en effet écologiquement responsable et pas uniquement rentable.
Repenser l'activité industrielle, c'est un défi de taille. Est-ce que c'est réalisable ? La France s'en donne-t-elle les moyens ? Et au-delà des moyens, se pose la question de l'horizon, de temps, des objectifs. Qu'en pensez-vous ?
Alors oui, absolument. Oui. La France, c'est le pays de la création, de l'innovation qui doit montrer la voie. J'en suis absolument convaincu. Pour ça, l'Etat joue un rôle d'incitation. On reste dans un cadre d'entreprises privées qui prennent leurs propres décisions. Dans ce plan d'incitation, le plan de France 2030 pour mieux comprendre, mieux vivre, mieux produire est un bon début.
Avec 30 milliards, c'est un très bon début. Il va falloir en effet arriver à démocratiser, à faire comprendre le fait que recréer de l'industrie en France, ce n'est pas recréer de la pollution et des emplois précaires. C'est créer un nouvel élan pour repenser une nouvelle industrie à la française, une industrie qui est performante. Il faut qu'elle soit plus automatisée, plus robotisée, plus automatisée, plus robotisée.
Et ça, par contre, c'est vecteur de nouveaux emplois, de nouveaux types d'emplois. Et c'est ça qui crée qui sous-tend aussi cette industrie 4.0. Si on veut que cette industrie, elle soit performante et écologiquement performante, il faut ses ingrédients dedans. Mais ce n'est pas pour autant que ça va détruire pour dix emplois industriels qui existaient avant qu'on va en avoir plus que deux, on en aura peut-être plus que deux qui seront opérationnels, dédiés à de la fabrication. Mais on en aura huit ou dix qui seront là pour la maintenance des robots, de leurs logiciels et de l'ensemble de la chaîne digitale intégrée.
On part de loin, c'est un fait. J'imagine qu'il y a des obstacles, éventuellement des choses à reconstruire quand on est désindustrialisé depuis 40 ans.
Oui, l'ADN industriel de la France s'est dégradé, c'est clair. Il y a un désamour, un manque de considération et de, reconnaissance pour les métiers de l'industrie. Cependant, il y a 70000 emplois dans ce secteur à pourvoir en 2022. Il y en aura encore je pense plus en 2023. Il faut changer l'image de l'industrie pour montrer que le projet est de créer une industrie différente qui est plus éthique et juste avec ses employés et écologiquement responsable.
C'est ça qui va permettre d'attirer de nouveaux talents et de créer aussi, je le pense, une industrie différente et attractive pour des clients du monde entier au travers de la production française. Là-dedans, comme on le disait, l'industrie 4.0 joue un rôle et c'est des nouveaux métiers qui vont être issus de cette digitalisation et qui vont venir compenser les métiers. Les postes perdus par plus de robotisation.
C'est un défi pour les entreprises. Est-ce que l'industrie 4.0 répond à ces enjeux ?
L’Industrie 4.0 est un outil industriel qui s'est doté de moyens digitaux pour améliorer sa performance et transformer au fur et à mesure ses métiers afin d'être plus performant, donc plus rentable mais aussi plus performant écologiquement. Ce qu'on a dit tout au long de l'entretien, ces différentes technologies qui permettent de mieux concevoir des produits, de concevoir et simuler des systèmes de fabrication et des systèmes et des processus de maintenance doivent, et in fine, la capacité à être économiquement rentable et écologiquement responsable.
Les deux vont de pair déjà, avant tout les convictions que je porte. La technologie est au service des personnes et donc des industriels. Mais donc elle doit être au service autant de la rentabilité que du développement durable et des personnes qui travaillent. Ça doit être un support et pas une galère. Ça doit être un plus dans le travail de tous les jours.
Donc déjà, si on investit dans une technologie, c'est pour atteindre ses bénéfices. Ce n'est pas pour le plaisir de la technologie. Ensuite, on va soutenir cette démarche, il faut la mener pour des secteurs prioritaires qui sont les plus stratégiques pour la France en termes de besoins de souveraineté et en termes de positionnement sur le marché mondial.
Et de développer une stratégie sur au moins 20 ans qui permet d'ancrer ces verticaux dans l'industrie française et de les développer de cette manière-là. Il y a une vraie logique de business plan. Un Reconcevoir pour que cette industrie fonctionne avec les objectifs qu'on se donne qui encore une fois doivent être économiques, écologiques et humains.
Est-ce que vous avez des exemples à nous donner ?
Oui, vous l'avez dit, j'ai une certaine expérience dans le monde aéronautique. Et en effet, aujourd'hui, on ne vendra des avions et des composants de ces avions, les moteurs par exemple, que si on est de plus en plus économe en consommation énergétique. Même si le bilan aujourd'hui d'une consommation par 100 kilomètres est relativement faible par rapport à un camion ou une voiture, ça reste trop par rapport au monde dans lequel on est aujourd'hui.
Donc c'est une condition de survie, même pour ce métier-là, de devenir plus écologiquement responsable et donc d'attirer les talents. Les ingénieurs qui vont être capables de concevoir ces nouvelles solutions et les opérateurs sur le terrain qui vont être capables de les fabriquer, de les maintenir, de les installer et de rendre les bons services à leurs clients. D'autres exemples déjà dans l'automatisation, on va essayer de faire faire à des robots des tâches qui peuvent être dangereuses, qui se situent en hauteur, je vais prendre un exemple dans l'aéronautique, mais aller faire des trous dans une carlingue en composites à quatre mètres de haut sur un avion, si on peut le faire faire par un robot qui va peut-être le faire mieux du premier coup sans faire prendre de risques à un individu, c'est peut-être une bonne opération. Les exemples ensuite qu'on peut donner sur cette industrie, sur la digitalisation 4.0, c'est d'amener sur le poste de travail physique les informations numériques qui vont permettre de prendre en compte une nouvelle série par exemple. J'ai travaillé sur le produit à variante B pendant 2 h. Mon responsable de secteur me dit que maintenant on passe sur le produit dix variantes. Et si je n'ai pas l'information digitale qui m'amène le modèle 3D de ce produit, la tâche que je dois opérer, etc. Tout va se faire manuellement. C'est ce qui se fait encore dans beaucoup d'industries. C'est un papier qui donne la nouvelle configuration. L'opérateur va reconfigurer les différentes machines-outils qu'il a autour de lui à la main.
Il va perdre du temps pour le faire. Il y a des risques de rebut également. Retour au volet écologique, c'est à dire qu'on consomme de la matière pour rien parce que ce ne sera pas bon du premier coup. Et on va perdre un certain temps à faire et refaire jusqu'à ce qu'on ait la bonne configuration pour relancer la nouvelle série à obtenir l'information digitale sur le poste de travail.
Réduire le fossé entre le monde physique et le monde digital, c'est mieux travailler, être mieux performant. Ensuite, il peut y avoir également, on l'évoquait tout à l'heure dans la réalité augmentée, la capture des savoir-faire pour des activités très précises d'experts sur le terrain qui peuvent capter de cette manière-là les opérations qu'ils font, en faire une espèce de vidéo de formation et la transférer, prise en direct sur le monde réel, le monde physique et la transférer à des confrères dans d'autres sites industriels pour qu'ils fassent du mieux possible du premier coup ou soient capables de faire le bon diagnostic.
On est sur une machine en panne, par exemple.
Pour conclure cet épisode sur les enjeux de la réindustrialisation, quels sont les bénéfices de cette transformation digitale ?
Ce sont des bénéfices qui sont à la fois économiques, plus de performance industrielle, moins d'impact environnemental et le développement de nouveaux métiers liés à cette transformation. C'est ces trois leviers, ces trois indicateurs qu'il faut attendre en sortie. Et c'est pour ça que c'est un nouveau modèle. Il est clair qu'on part pour certainement une bonne dizaine d'années de transformation.
La réalité aujourd'hui, c'est que beaucoup d'industriels, et c'est normal, démarrent par des choses entre guillemets basiques mais très importantes. Par exemple, refondre leur système de données pour être sûr qu'elles sont bien diffusées d'un bout à l'autre de la chaîne et pour tous leurs sites industriels. On n'en est pas partout à diffuser de la réalité augmentée. Ce n'est pas la réalité, mais l'ensemble de ces pratiques vont se développer dans la décennie qui vient pour permettre d'avoir une industrie innovante qui reste innovante, écologiquement responsable et créant de nouveaux métiers pour la France.
Merci Olivier Helterlin d'avoir partagé avec nous votre vision et votre expertise de l'industrie et de son futur autour de la réindustrialisation en France, on se retrouve très vite pour un prochain épisode. Vous pouvez partager ce podcast et vous abonner sur votre application de podcast préférée. À très vite.